Le premier document
consulté pour retrouver les traces des grands incendies qui ont marqué le
village de Frasne porte le titre suivant :
« annales de Frasne de 1635 à
1700 » par messire Jacques Rouget.
Jacques Rouget fut nommé curé
de Frasne en 1681. Son récit a donc le mérite de faire connaître sobrement et
exactement racontés, les évènements qui se sont passés dans ce village et tels
qu’ils furent recueillis quarante ans après, de la bouche de témoins oculaires.
Après avoir évoqué les
ravages de la peste, il raconta comment une partie du village fut brûlée en
1637 à l’occasion d’un combat livré entre un régiment lorrain et quatre-vingts
jeunes gens du val de Mièges qui furent tous massacrés :
« Les
lorrain mirent le feu aux maisons, tout ceux qui sortaient avaient d’abord la
tête fendue à coups de sabre, ou jetés vifs dans la fontaine ou tués à coups
d’armes à feu. Il n’en resta pas un seul des 80 ; une partie fut enterrée
dans un même lieu dans le cimetière de Frasne, proche de la muraille devers
bise ; il y eut dix à douze maisons de brûlées à Frasne de cet
incendie. »
N’oublions pas qu’à cette
époque la Franche Comté était espagnole et qu’elle fut ravagée par le passage
des différentes troupes. Beaucoup d’habitants se sont enfuis en Suisse, voir
même en Italie. En 1640 il ne restait au village que trois ou quatre habitants.
« le feu du ciel »
Au XVII et au XVIII
siècles, les maisons qui étaient construites avec beaucoup de bois devenaient
une proie facile pour le feu qui souvent trouvait son origine dans la foudre.
Nous trouvons toujours dans les écrits de LOISEAU que les maisons
« brûlèrent par le feu du ciel ».
En voici quelques
exemples :
1728 : au mois de juillet, les maisons BARBAUD, LEPEULE,
PELLETIER et MARMIER brûlèrent par le feu du ciel (9 grosses maisons)
1760 : autre incendie des mêmes maisons moins une, toujours
du feu du ciel.
1761 : la maison des héritiers de Pierre BROCARD brûla
pendant la nuit. Il y avait tant de neige que les secours furent très difficiles.
1798 : le jeudi saint, les maisons de SEBILE,
BESANCENET et BARBAUD furent réduites en cendres.
1806 : le tonnerre tomba sur la maison SEBILE Alexandre et
la réduisit en cendres.
LES GROS INCENDIES DU XIXe
En une vingtaine d’années,
trois gros incendies vont détruire la quasi-totalité du village :
-
Le 23 avril 1832
-
Le 1er avril 1849
-
Le 3 août 1853
Incendie de 1832
Le 23 avril 1832, à 20h30, un violent incendie éclata dans la
maison habitée par Jacques et Alexis PELLETIER. Sept corps de bâtiments
devinrent rapidement la proie des flammes. Ils appartenaient à 17 propriétaires
et abritaient 28 ménages, composés d’environ 120 personnes. Une demoiselle déjà
âgée, nommée Marie Josette MARMIER, croyant qu’on lui donnait une fausse alerte
ne voulut pas sortir de chez elle et resta ensevelie sous les décombres.
Si le vent eût été
favorable, le village eût couru le risque d’être complètement incendié. Trois
maisons furent préservées avec beaucoup de difficultés la dernière du coin du
bas, celle de la famille MARMIER et celle de Maurice GRAPPE.
La cause de l’accident fut
attribuée à la négligence. Les pertes totales furent évaluées à la somme de
150 000 Fr. On ne parlait guère d’assurance à l’époque, et selon
l’habitude d’alors, en pareille circonstance on fit appel à la générosité des
communes voisines, du gouvernement et des principales autorités.
Après un décompte plus
précis des pertes, le montant total était de 86 656 Fr.
Le gouvernement accorda
une aide de 5 940,20 Fr. et la commune de Frasne donna 3 041,50 Fr.
en plus des bois nécessaires pour la reconstruction des maisons.
Une partie de l’argent
donné par la commune provenait aussi des dons des autres communes. Il est vrai
qu’à cette époque les autres communes venaient en aide aux sinistrés dans les
villages, soit sous forme de dons mais aussi en matériel divers, ou en habits,
meubles….
Incendie de 1849
Alors que le souvenir de
l’incendie était encore dans toutes les mémoires des Frainiauds, ils allaient
devoir faire face à une nouvelle catastrophe le 1er
avril 1849.
Seize familles furent
concernées par ce nouvel incendie qui se solda par 55 386 Fr. de pertes.
Le gouvernement accorda une aide de 929 Fr. Là encore la générosité des
communes allait jouer mais les sinistrés perdaient beaucoup dans une telle
situation.
Une délibération du
conseil municipal du 8 avril 1849 précise que ce sont les mêmes propriétaires
qu’en 1832 qui ont été à nouveau sinistrés.
Le conseil décida lors de
la même séance de faire marquer des bois pour aider à la reconstruction des
maisons.
Incendie de 1853
Décidément le sort
s’acharne sur le village puisqu’en 1853, le soir du
3 août « le feu du ciel » allait une nouvelle fois frapper.
Pour connaître les détails du plus gros incendie que Frasne ait connu je cite l’article
du journal de PONTARLIER :
« La
journée du 3 août 1853 avait été extrêmement chaude dans nos montagnes, si
chaude que pour chacun « il y avait de l’électricité dans
l’air ». On ne se trompait pas. Au soir de gros nuages se formèrent puis
s’amoncelèrent et à la tombée de la nuit, le ciel était entièrement chargé. Il
fut bientôt illuminé par les éclairs que suivaient des coups de tonnerre de
plus en plus violents. L’orage était là, l’un des orages qu’à cette époque de
l’année on redoute tant à la campagne.
Soudain
un peu avant minuit, sur Frasne un coup de tonnerre encore plus terrible que
les précédents, plusieurs maisons, 4 ou 5, prétend t-on, sont touchées à la
fois par la foudre et s’embrasent. Un fort vent attise le feu et emporte les
flammèches à travers tout le village. Très vite c’est plus de quarante maisons
qui sont atteintes par le feu, feu qui sera d’autant plus alimenté que les
granges sont toutes bourrées de fourrage. Surpris dans leur sommeil les
habitants de ces maisons fuient au dehors, certains en chemise, incapables de
sauver leur mobilier et souvent leur bétail. Avec plus ou moins de célérité les
secours affluent de tous côtés. Voici arrivant en même temps que le
Sous-préfet, le procureur impérial, le juge d’instruction et les gendarmes, les
pompiers de Pontarlier, ceux de Bouverans, de La Rivière, de Courvières, de
Bulle, de Boujailles, de Cuvier, de Chapelle d’huin, de Villers sous Chalamont,
de Bannans, de Chaffois, de Remoray, de Bonnevaux, de Dompierre, de Vuillecin,
de Doubs.
Mais le
brasier était tel qu’ils auront fort à faire. Il est tel que le ciel rougeoit
comme s’il était lui-même en feu, et, suivant ce que sa mère racontait à madame
GUY, on aurait pu lire le journal dans la grande rue de Pontarlier. En dépit de
la mise en action de 18 pompes, c’est finalement 68 maisons qui furent
détruites par le feu. On ne saurait dire que les efforts des pompiers furent
vains. Sans eux, l’incendie aurait encore pris plus d’extension encore. Il fut
stoppé vers les 4 heures du matin.
En moins
de 5 heures, 68 maisons appartenant à 71 propriétaires avaient été détruites,
550 personnes composant 141 ménages se trouvaient jetées à la rue. La plus
grande partie de leur mobilier avait brûlé et la plus grande partie du bétail
avait péri. Le total des pertes sera évalué à 654 398 Fr. les assurances
ne les couvrant que pour 160 600 Fr.
De
surcroît, il y eu des morts à déplorer : celle d’un vieux militaire amputé
d’une jambe et chevalier de la Légion d’Honneur, le sieur Brocard. Il avait
succombé à l’asphyxie alors qu’il était revenu à son domicile en feu pour
retrouver ses états de service. Celle d’un jeune homme de 28 ans du nom Fumey,
simple d’esprit il n’avait su s’arracher au danger. Le maréchal ferrant Gillard
qui était rentré à son domicile dans sa forge pour rechercher son outillage,
aurait subi le même sort s’il n’avait été sauvé par le garde champêtre de
Bouverans, le sieur Claudet. Un enfant de 2 ans aurait subi le même sort, la
petite Vanthier, si elle n’avait été sauvée par le sieur Rousselet de Bannans.
Dès le
lendemain matin, jeudi 4 août, le maire de Pontarlier lançait un appel à la
charité de ses administrés, en faveur des sinistrés. Un élan général y
répondit. Il fut tel qu’à midi déjà huit voitures partaient pour Frasne
chargées de dons en nature, vivres, vêtements, linges, literie, ustensiles de
ménage, meubles. Avant la fin de la semaine, 75 souscripteurs avaient déjà
versés la somme de 678,35 Fr. au 17 septembre, la souscription s’élevait à
2018,50 Fr. Parmi les souscripteurs ne manquons pas de noter les détenus de la
prison qui se cotisèrent et versèrent la somme de 14,20 Fr. Geste touchant
prouvant qu’il ne faut jamais désespérer du cœur des hommes. Il est affligeant
cependant d’apprendre que des quêteurs firent du porte à porte et empochèrent
les dons recueillis pour eux.
La
famille impériale envoya 15 000 Fr. le Préfet du Doubs 1000, les
magistrats de la cour de Besançon 600 Fr. Une collecte fut faite parmi les
pompiers de Pontarlier et de Lons Le Saunier. Enfin toutes les communes de
l’arrondissement votèrent des subventions. Néanmoins malgré tant de générosité,
la plupart des sinistrés furent loin de trouver une compensation suffisante aux
dommages qu’ils avaient subis. »
Pour juger de la valeur des
chiffres du XIX siècle, la monnaie restait stable : un ouvrier touchait 40
à 60 Fr. par mois, une servante 20 Fr. une miche de pain 0.45 Fr. un litre de
lait 0.20 Fr.
A la suite de cet
incendie, le conseil municipal s’est réuni en session extraordinaire le 7 août
1853 pour décider ce qui suit :
1°)
– demander à l’autorité de tutelle de bien vouloir dispenser les sinistrés de
leur tâche de prestations sur l’élargissement du chemin de grande communication
N°36 de Bonnevaux à Levier, et de renvoyer ces travaux à une date ultérieure.
2°)
– demander à l’autorité de tutelle de bien vouloir accepter de couper dans les
forêts communales le bois nécessaire à la reconstruction des maisons qui
couvraient une surface de 27 120 M² soit une moyenne de 356 M² par maison.
Le cube nécessaire est de 10 032 M3 qui seront payés au prix de 4.50 Fr.
par les particuliers.
Le conseil municipal réuni
le 2 septembre 1853 décide de profiter de l’incendie d’une grande partie du
village pour fixer un nouvel alignement de la grande rue.
Enfin, suite à l’incendie
le conseil municipal a décidé l’achat d’une nouvelle pompe à incendie et à
faire réparer les anciennes, le tout pour une somme de 3 000 Fr.
Un registre dans les
archives dresse l’état de toutes les sommes versées par les communes et les
particuliers pour aider les sinistrés.
111 dons sont ainsi enregistrés pour un total de
11 100.90 Fr. :
- 80 communes pour des sommes allant de 2.30 Fr. à
427.40 Fr. A noter le don d’une commune suisse.
- 31 particuliers : prêtres, élus, notaires,
voyageurs… pour des sommes allant de 5 Fr. à 1955 Fr. pour une souscription à
la banque de rance.
Vous trouverez ci-après
une copie d’une lettre du Maire de Lac ou Villers. La commune a reçu de
nombreux témoignages de ce type et les sinistrés ont reçu de nombreux dons en
nature : mobilier, habits, fourrage, bois, grain, vaisselle…
En retour, les habitants
de Frasne et la commune ont toujours été très généreux lorsque d’autres
villages se trouvaient victimes de gros incendies.
Lettre de Mr le
Maire de Villers le Lac
La seconde partie du XIX ème siècle va connaître aussi de nombreux
incendies. Dans son « PLAN GENERAL DU TERRIOIRE DE LA COMMUNE DE
FRASNE » dressé en 1886, Emile Gachod note dans les commentaires :
« Ce
village est presque entièrement bâti à neuf par suite de plusieurs incendies
survenus : en 1832 qui détruisit tout le quartier du bas, en 1853 qui
détruisit la moitié du village, le 13 mars 1867, le 25 août 1868, le moulin de
Paroy en 1869, la ferme de Cessay en 1870 ; le 15 mars 1873, le 25 août
1873, le 26 janvier 1874, 5 octobre 1874, 13 mars 1875, 17 mai 1876, 22 octobre
1877, juillet 1883, 2 février 1889 et jeudi 20 avril 1890. »
Le plus important semble
être celui du 17 mars 1873 puisque le
registre qui servi en 1853 donne aussi des détails sur l’incendie de 1873. La
commune a réparti à l’époque 701 M3 de bois à 11 familles pour un total de 1061
Fr.
Parmi les dons en nature
venant des communes voisines, j’ai relevé :
-
la
commune de Dompierre qui a donné 18 voitures de fourrage
-
la
commune de La Rivière : six sacs de grain, celle de Bannans : 4 sacs
Le conseil municipal en
1867 a conscience du rôle joué par les pompiers bénévoles. Face aux nombreuses
interventions, le conseil dans une délibération du 16 juin 1867 demande que
« les pompiers ne soient plus tenus à faire leurs trois journées de
prestations, imposées par la loi de 1836 à tous les français valides, tant
qu’ils feront partie de la compagnie ».
J’ai envie de dire que
cette mesure est l’ancêtre des vacations que perçoivent aujourd’hui les
pompiers.
A la fin du siècle, la
compagnie est très importante puisqu’elle compte régulièrement plus de 50
pompiers. Il n’était certainement pas facile de commander une telle unité et
j’en veux pour preuve qu’en 1889, suite à des désaccords importants entre les
sapeurs et les officiers, le conseil municipal a dû prononcer la dissolution de
la compagnie et nommer une commission chargée de réorganiser une nouvelle
compagnie.